NICE, FRANCE, 10 juin – Organisée ce matin, la troisième table ronde de la Conférence sur l’océan s’est concentrée sur un paradoxe : malgré son immense valeur, l’océan reste sous-estimé et sous-financé. Il s’agit pourtant d’un pilier de la santé planétaire qui absorbe 30% des émissions mondiales de gaz à effet de serre et fournit des services éco systémiques essentiels comme la séquestration du carbone, la production d’oxygène et la protection des côtes.
En outre, si l’océan était un pays, sa valeur estimée à 25 000 milliards de dollars en ferait la cinquième économie mondiale, ont relevé plusieurs intervenants. Reste que l’objectif de développement durable n°14, qui vise à préserver et à exploiter durablement les océans, est le moins financé de tous les objectifs de développement durable (ODD), recevant moins de 1% du financement mondial pour le climat. La discussion a donc porté sur les moyens de remédier de toute urgence à cette lacune.
Ministre de l’environnement, de l’énergie et du climat de l’Islande et Coprésident de cette table ronde, M. Jóhann Páll Jóhannsson, a relevé que l’insuffisance des investissements publics et privés dans l’environnement marin représente un « obstacle systémique au progrès ». Alors que les financements climatiques comportent souvent un « angle mort » concernant l’océan, il a jugé essentiel de considérer ce dernier comme un élément crucial de la solution et d’adapter les budgets et politiques à cette réalité.
« Nous devons faire en sorte que l’océan soit au centre de l’agenda mondial en matière de financement », a approuvé la modératrice de cet échange, Mme Karen Sack, Directrice exécutive de Ocean Risk and Resilience Action Alliance. En effet, a-t-elle souligné, « l’océan est un capital vivant : quand nous investissons dans sa santé, nous investissons dans notre bien-être ».
Première panéliste à s’exprimer, la Directrice de la communication, de la marque et du développement durable du groupe d’assurance AXA a mis l’accent sur les risques financiers liés à l’océan, qui ont un impact direct sur l’assurabilité des activités de l’économie bleue et des communautés côtières. En effet, avec 38% de la population mondiale vivant à moins de 100 kilomètres des côtes, l’élévation du niveau de la mer et la détérioration de la santé des océans présentent des risques importants pour les infrastructures, les communautés et les activités économiques, a expliqué Mme Ulrike Decoene.
Pour répondre à ce défi, AXA a mis au point des programmes d’assurance paramétrique, qui utilisent des modèles scientifiques pour fournir des indemnisations rapides après des catastrophes. Une autre approche innovante est la conversion de dettes en nature. Par exemple, aux Bahamas, un projet de ce type permet au pays de réduire son endettement en échange d’engagements en matière de conservation marine.
Au-delà des risques, l’écart de financement est considérable quand il s’agit de l’océan, a observé la Directrice exécutive du Fonds vert pour le climat. À peine 13 milliards de dollars ont été débloqués depuis 2010 alors qu’il faudrait 175 milliards par an pour réaliser l’ODD 14, a fait remarquer Mme Mafalda Duarte, précisant que, depuis 2016, le Fonds vert a engagé 2,3 milliards de dollars à l’appui des océans, dans le but d’amorcer d’autres investissements. Elle a également fait état de dizaines de millions de dollars débloqués à travers le monde sous forme de bourses, de plans d’investissement dans l’économie bleue, de modalités de transport vert et d’échanges « dette-nature ».
Saluant ces recherches de solutions, le Secrétaire exécutif du Fonds d’équipement des Nations Unies (FENU) a rappelé qu’une part infime de l’aide publique au développement (APD) va au financement océanique, avant d’appeler à une plus grande intégration du secteur privé et à un recours accru aux financements mixtes. M. Pradeep Kurukulasuriya a ajouté que le FENU s’emploie à lever des fonds hors APD à destination de pays vulnérables via la plateforme de financement « One Ocean ».
Convaincue que l’océan est « l’investissement le plus intelligent et le plus rentable que nous puissions faire pour le climat, l’alimentation, la sécurité, la paix, la santé et l’avenir », la Coprésidente de la Fondation Bertarelli a fait valoir que les aires marines protégées et conservées offrent un retour sur investissement de 3 à 4 dollars pour chaque dollar investi grâce aux services éco systémiques et aux avantages pour la pêche. En outre, la protection de 30% des océans pourrait générer des bénéfices allant jusqu’à 926 milliards de dollars d’ici à 2050. Hélas, a déploré Mme Dona Bertarelli, seulement 8,3% des océans bénéficient d’une certaine forme de protection, et 2,8% sont entièrement ou hautement protégés.
Pour exploiter pleinement et durablement le potentiel économique de l’économie océanique, nous avons besoin d’investissements publics bien ciblés et d’un environnement politique sain pour stimuler l’investissement privé, a résumé le Secrétaire général de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Dans ce cadre, a expliqué M. Mathias Cormann, l’OCDE fournit des orientations politiques pratiques aux gouvernements pour réduire le risque que les subventions et autres formes d’aide publique profitent à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée. Cela comprend le ciblage des subventions vers des pêcheries gérées durablement et efficacement contrôlées et le retrait des subventions aux pêcheurs qui opèrent en haute mer, là où les pêcheries ne sont pas gérées de manière coopérative pour garantir la durabilité, a précisé l’intervenant.
Dans le même ordre d’idées, M. Jorge Moreira da Silva, Directeur exécutif du Bureau des Nations Unies pour les services d’appui aux projets (UNOPS), a expliqué que, grâce à une gamme d’outils, cet organisme onusien aide les gouvernements à améliorer la planification nationale des infrastructures en amont, comme il l’a récemment fait à Sainte-Lucie ou encore dans l’État du Mato Grosso, au Brésil.
En promouvant des achats respectueux de l’environnement et en renforçant les capacités locales, l’UNOPS contribue à réduire la pollution marine due aux activités terrestres et soutient des économies bleues résilientes, a illustré le haut fonctionnaire. Le Bureau facilite également les plateformes d’action multilatérale, en particulier pour contribuer à la mise en place de systèmes efficaces de gouvernance des océans, et ainsi à l’attraction des investissements.
Dialogue interactif
Au cours de l’échange entre les panélistes et les délégations, les Palaos ont rappelé que seulement 0,22% des financements climatiques va aux petits États insulaires en développement (PEID), alors même que ces pays ont intégré l’action océanique dans leur gouvernance et leurs plans d’action. Regrettant que l’accès aux financements soit conditionné à des paramètres, ils ont plaidé pour des financements « taillés sur mesure », sur la base d’un indice de vulnérabilité multidimensionnelle, avant d’appeler la communauté internationale à mettre en place un environnement propice à l’attraction des capitaux pour des économies comme la leur. « Il est urgent de rationnaliser ces financements et d’aider les PEID à réaliser les ODD par le biais d’investissements novateurs et conformes au priorités nationales », ont ajouté les Îles Salomon.
Les Maldives ont constaté que l’accès à l’aide sous forme de subventions et aux financements concessionnels est encore limité et que de tels modèles ne sont pas adaptés à la restauration des écosystèmes et au renforcement des capacités institutionnelles nécessaires à la réalisation de l’ODD 14. « À ce stade crucial, nous appelons les partenaires à renforcer leur soutien à cette initiative », a déclaré la délégation, plaidant en outre pour une plateforme, qui, sous l’égide de l’ONU, canaliserait les financements vers des résultats tangibles, notamment une transition juste pour les communautés dépendantes de l’océan.
À ce sujet, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a dit œuvrer à la conception d’un mécanisme mondial de financement des océans à la fois innovant et transformateur, alimenté par des ressources hors APD, baptisé « One Ocean Finance » afin de débloquer des milliards de dollars de nouveaux financements auprès des industries dépendantes de l’océan et des secteurs de l’économie bleue. Un tel mécanisme apportera l’impulsion financière nécessaire pour atteindre les objectifs mondiaux et nationaux pour les océans d’ici à 2030 et contribuer au programme post-2030.
La Fondation SEE a indiqué avoir investi plus de 25 millions de dollars dans la conservation et la restauration marines. Selon elle, mobiliser des financements pour les actions océaniques nécessite la diffusion des efforts des plateformes de financement participatif ou d’aide sociale, ainsi que des financements privés.
Pour la Norvège, deux occasions sont à saisir pour mobiliser les financements en faveur de l’ODD 14 : « la première est ici, à Nice, la seconde aura lieu en juillet lors de la quatrième Conférence pour le financement du développement à Séville ». Ces deux événements offrent l’opportunité de progresser dans l’action océanique et la réalisation du Programme 2030, a-t-elle souligné. Mais pour cela, « tout le monde doit être sur le pont », a-t-elle lancé, préconisant l’orientation de fonds vers des actions locales et nationales, avec de vraies capacités opérationnelles.