“Politiques, écoutez-nous, nous avons des solutions !” : L’appel des directeurs du développement durable (C3D).

 

Le Collège des directeurs du développement durable (C3D) fête ses 10 ans. Une décennie qui a vu la fonction largement évoluer, avec une montée en compétences et en responsabilité. Elle est de plus en plus impliquée dans la transformation du modèle économique des entreprises. Le président du C3D, Fabrice Bonnifet, également directeur du développement durable de Bouygues, veut faire prendre conscience à la classe politique de ce levier de transition de l’économie.

Fabrice Bonnifet est président du C3D, le Collège des directeurs développement durable, et directeur développement durable et QSE du groupe Bouygues.
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Novethic. Le C3D (Collège des directeurs du développement durable) fête ses 10 ans cette année. Comment voyez-vous l’évolution de la fonction ?

 

 

 

 

 

Fabrice Bonnifet. Il y a 10 ans, notre métier était essentiellement défensif. Notre rôle consistait surtout à mettre en avant quelques démarches permettant d’améliorer les performances environnementales, sociales et sociétales. Mais rien ne changeait véritablement sur le fond du business. Il n’y avait pas de réflexion approfondie sur la nécessité de transformer le modèle économique. Depuis, il y a eu une révolution.

Une grande majorité des entreprises ont compris qu’elles ne s’en sortiraient pas sans modifier pas leur façon de promouvoir, de produire, de vendre et en découplant la création de valeur de la consommation de ressources. Cela a conduit à associer plus étroitement les directeurs du développement durable à la stratégie de l’entreprise.

Comment voyez-vous la fonction dans 10 ans ?

Plus que jamais le directeur du développement durable ou RSE (responsabilité sociétale des entreprises) va avoir cette mission de projection et d’accompagnement de l’entreprise vers de nouveaux business models plus responsables et plus durables. Il s’agit de remplacer le modèle productiviste et linéaire. Ces derniers fonctionnent encore mais ils répondent de moins en moins aux attentes des parties prenantes. Le rôle du directeur du développement durable est d’accompagner cette transition en étant à la fois l’aiguillon positif, le chef d’orchestre et le garant. Cela demande des compétences spécifiques, qui évoluent en permanence. Ils doivent très bien connaître les leviers de l’innovation managériales et les nouveaux modèles économiques (économie circulaire et de la fonctionnalité, ESS, entreprises collaboratives, etc.) et savoir comment les transposer dans leur secteur, leur entreprise. Le tout en allant plus vite que la concurrence… car le développement durable ne la fait pas disparaître !

Lors du dernier campus du C3D qui se tenait fin juin, vous avez déclaré qu’il était aussi temps de “changer de ton par rapport aux pouvoirs publics“. Qu’est-ce que cela veut dire ?

L’essentiel des solutions pour l’emploi et la création de valeur est porté par les entreprises. Mais nous avons besoin du législateur pour accélérer la transition. La régulation est par exemple nécessaire pour aboutir à un prix du carbone compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris. Hélas les politiques sont encore trop rarement issus du monde de l’entreprise. Résultat : les entreprises se retrouvent confrontées à des lois qui n’ont pas été établies pour être compatibles avec le modèle vers lequel elles veulent tendre. Avec Hélène Valade (vice-présidente du C3D, présidente de la Plateforme RSE et directrice développement durable de Suez, NDLR), nous avons entamé une série de rendez-vous avec les nouvelles équipes en place. Notre objectif est de faire comprendre à nos interlocuteurs que l’on peut créer des centaines de milliers d’emplois en transformant notre économie.

Quelles sont vos propositions ?

Chaque entreprise est porteuse de propositions concrètes en relation avec son secteur d’activité. Pour développer l’économie circulaire qui correspond par définition à un modèle économique durable, nous souhaitons promouvoir et même inciter la notion de “réparabilité” ou de réemploi dans les appels d’offres. La part des déchets ultimes doit être réduite à la portion congrue. Dans le cas du BTP, ces déchets ultimes peuvent même être éliminés en quelques années. Nous sommes encore loin de cela aujourd’hui, alors d’autres pays y arrivent mieux que nous. Sur l’écologie industrielle, nous souhaiterions qu’il ne soit plus possible de réaliser des infrastructures sans étude d’impact local sur les flux physiques pouvant être produits et gérés sur un territoire. Par exemple, quand une usine s’implante sur un territoire où il existe un data center, on devrait au moins se poser la question de savoir si la chaleur produite par les serveurs informatiques peut alimenter le process industriel ! C’est du bon sens. Des initiatives locales poussent en ce sens mais une réglementation permettrait d’accélérer considérablement.

Quel est le retour que vous avez jusqu’à présent ?

Les équipes gouvernementales viennent juste de se mettre en place. Nous n’avons donc pas de raison de ne pas leur accorder notre confiance. D’autant plus que nous considérons la nomination de Nicolas Hulot à la tête d’un ministère d’État de la Transition écologique et solidaire comme un véritable atout. Nous disons aux pouvoirs publics : “Écoutez-nous ! Nous avons les solutions pour changer de modèle !”. Nous serons dans la bienveillance mais nous resterons vigilants ! L’urgence écologique et le drame du chômage leur imposent de nous écouter, de nous respecter mais surtout d’agir vite !

Propos recueillis par Béatrice Héraud @beatriceheraud

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